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Lettre d’une amante au nom d’épée: Je vous écris du château de Savigny en Normandie

La campagne normande n’a guère changé depuis le second Empire; en vous promenant au pas d’un sénateur entre prairies et pommiers, en supprimant les agaçants appels du XXIème siècle, en vous laissant flotter au sein d’une atmosphère humide et rêveuse, au détour d’un bois de hauts sapins, en frôlant les murs d’un château aux ardoises envolées, un bruit métallique casse la douceur de vos rêves, vous n’êtes plus vous-même, vous voilà chez ceux qui connurent « le bonheur dans le crime ».

Et sans nul doute entendez-vous « un cliquetis d’épées qui se croisent, et se frottent, et s’agacent ».

Vous passez un portail rouillé, soudain, les ardoises intactes resplendissent sous le soleil d’un clair matin, les servantes en coiffes blanches s’agitent, et un homme saute de sa calèche, car son valet vient de lui crier un mot terrible: Madame se meurt ! Vous êtes au château de Savigny , une femme  vous adresse un sourire diabolique en dardant ses « yeux, larges diamants noirs, taillés pour toutes les fiertés de la vie « : le cauchemar commence… Un cauchemar ou une leçon d’amour fou à la pointe de l’épée ?L’histoire de « deux êtres superbes dans la majesté de leur entrelacement « …Avant le crime, avant le bonheur, il y eut l’inventeur de l’héroïne, cette jeune fille tirant l’épée afin d’assurer sa subsistance et la survie de la Salle d’Armes crée par son père pour la célébrité d’une insignifiante bourgade normande, « Valognes ». Jules Barbey d’Aurevilly, auteur maniant le lyrisme guerrier, roulant ses intrigues dans l’épouvante, peignant hommes et femmes d’un pinceau trempé de passion hallucinée, savoure l’art d’imaginer un couple parfait et parfaitement amoral. Criminels le comte de Savigny et son amante ? Au fur et à mesure que le court roman se dévide, la tentation guette  d’absoudre cet assassinat qui pourrait ne pas en être un… La criminelle est trop belle, le meurtrier trop aimant, le bonheur trop immense… Elégamment cruel à la façon du dandy qu’il sera toute sa vie, Barbey d’Aurevilly joue avec nos bons et mauvais sentiments. Mais revenons au début :entre la fière Hauteclaire Stassin, affublée par son maître d’armes de père du nom de l’épée du preux Olivier, et le jeune comte Sernon de Savigny, le plus absolu des coups de sang éclate. Nul ne s’en doute, le comte est l’époux d’une jeune fille de la noblesse normande « une femme qui ne savait rien de rien que ceci: c’est qu’elle était noble, et qu’en dehors de la noblesse, le monde n’était pas digne d’un regard ». Déjà, on se prend à plaindre le jeune époux d’une femme aussi étroite d’esprit et, de surcroît, souffrante: une maladie de nerfs la cloue au lit. Spectateur cynique de cette tragédie annoncée, le docteur de Valognes essaie de « sonder les reins et les coeurs « . Il connaît Hauteclaire depuis l’enfance, admire son talent de maître d’armes, métier à l’époque incongru voire scandaleux pour une jeune fille mais s’imagine bien à tort que son art lui suffit: « elle était devenue beaucoup plus forte que son père… Elle avait, entre autres, un dégagé de quarte en tierce qui tenait de la magie. Ce n’était plus là une épée qui vous frappait, c’était une balle ! ». Valognes vibre à l’instar du bon docteur pour son intrépide escrimeuse, or, un beau jour, Hauteclaire disparaît; c’est une désillusion terrible: la jeunesse dorée tourne en rond,la vie devient monotone, la salle d’armes sombre dans l’oubli… Un an passe, le docteur est appelé au château de Savigny, l’état de la comtesse ne cesse d’empirer, à son chevet veille une femme de chambre soumise, invisible, dérobant sa beauté sous une humble coiffe:

Hauteclaire l’orgueilleuse amoureuse est de retour!

Le comte et son amante cachent soigneusement leur passion le jour ,mais la nuit les libère et le docteur les surprend en pleine passe d’armes « tiens! fis-je, admirant la force des goûts  et des habitudes, voilà donc toujours leur manière de faire l’amour! « Très vite, le couple perd patience face à l’éternelle maladie de langueur de la comtesse… La fausse servante, Hauteclaire rebaptisée Eulalie tente un geste odieux et stupide : empoisonner la comtesse avec de l’encre-double!

Le drame est-il consommé ? Peut-être pas: le docteur peut sauver in extremis l’infortunée, peine perdue, la comtesse le lui interdit: « J’ai tout bu, j’ai tout pris, malgré cet affreux goût, parce que j’étais bien aise de mourir! Je veux mourir, je ne veux aucun de vos remèdes. « Crime ou suicide?

La tragédie s’accomplit … Deux ans après, scandale! Valognes apprend l’intolérable mariage d’un comte avec sa servante ! La soupçon s’attache au couple et les enferme dans leur château. Pour leur bonheur… Vingt-cinq ans plus tard, il dure encore, leur conservant l’éclat de leur jeunesse et l’intensité dévorante d’un attachement « au delà du bien et du mal ».

Les fulgurances de Barbey d’Aurevilly n’ont rien de suranné, de convenu ou de classique: son audace insolente ressemble aux prouesses de son héroïne: on a du mal à se remettre de cette botte

secrète que reste « l’amour dans le crime  » ! Et l’on se surprend à envier ces amants qui marchent dans la plénitude  de l’âge « se serrant flanc contre flanc, comme  s’ils avaient voulu ne faire qu’un seul corps à eux deux, en ne regardant rien qu’eux mêmes « .

Croisez sans peur le fer avec ces « diaboliques littéraires ».

A bientôt pour une nouvelle lettre  de château ,

Lady Alix

Photo Carolus Durand

Roman fantastique: un balcon sur l’Arno

Château de Saint Michel de Lanès

CSMI Cabinet St Michel Immobilier

 

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