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« Nous avons fait un beau voyage » dans l’Inde des palais, des tigres et des Rajahs

Un lointain et pluvieux matin du Paris des années folles, l’écrivain grippé et languissant Francis de Croisset  ouvrit du fond de son lit de malade une invitation qui allait lui offrir le plus beau des voyages. Elle émanait en toute simplicité, les grands de ce monde sont généralement très simples,

du prince Karam de Kapurthala, un petit état de l’Inde  et proposait cette fabuleuse tentation: « Mon père me charge de vous inviter aux fêtes qu’il donne à Kapurtala, le 24 novembre, pour le cinquantième anniversaire de son règne. Venez! Vous ferez chez nous la connaissance de beaucoup de princes indous qui vous inviteront à leur tour « .

Comment résister à une injonction aussi séduisante ? A cette époque, l’Inde réunissait tous les rêves orientaux, ceux des palais de marbre où l’amour se ciselait de fleurs  précieuses ,des citées d’argent et de pierre rose, des lacs hantés par les pleurs des princesses mortes sur le bûcher de leurs époux, des oiseaux étranges et des foules purifiées au sein d’un fleuve prodiguant sa bénédiction aux vivants et aux âmes envolées… Francis de Croisset, charmant homme de lettres très parisien ignore les réalités de ce pays immense et débordant de secrets inconnus aux occidentaux, il ne mesure même pas le poids énorme de l’influence, ou plutôt de la puissance anglaise. Rejetant avec amusement les mises en garde de son jeune ami, le Marquis de Duringham, alias le Capitaine Hollicott, un officier au service des jolies femmes autant que de Sa Majesté, en poste au Khyber-Pass, l’écrivain ranimé par l’aventure, s’embarque. Et déjà, à peine à bord, l’Inde s’empare de son esprit…

Hollicott, dans son jargon français assez surprenant, lui avait fait un singulier aveu:  » L’Inde n’est pas Ceylan. A Ceylan, en été, vous as les scorpions, les serpents, la ours qui vous griffe les yeux la crocodile, la panthère et la moustique. En Inde, vous as tout ça, plus les tigres et les puces, mais vous n’es pas forcé de vivre avec, sauf pour les puces. Seulement, vous as une chose qui est bien plus terrible: c’est le danger qu’on ne voit pas « .

Francis de Croisset se voulait déterminé, cartésien, optimiste, mais, les derniers jours en mer se passent mal; l’atmosphère régnant à bord oppose tout doucement l’Orient à l’Occident, les anglais aux indous, fussent-ils éduqués en Angleterre, un malaise titille notre écrivain:  » Chaque nuit, je rêve à un mort « …

Heureusement, Bombay est tout proche ! Et notre ami se reprend, « J’ai de la bonne humeur pour tout le monde, mon âme précède le bateau ! »

Première déconvenue: le climat ! le naïf écrivain avait omis ce détail !  » Je m’habille pour le dîner, je m’y reprends à trois fois. L’air gluant semble solide.  » Mais, Francis a eu la bonne idée de convier une exquise princesse indoue, héroïne des soirées parisiennes, à l’accompagner dans sa découverte des nuits de Bombay, un couple d’anglais élégants les escorteront. Du moins, l’inconscient Français se l’imagine-t-il… Hélas, il n’est en Inde que depuis quelques heures et ses illusions vont s’envoler d’un seul coup. C’est la débandade ! La princesse le plante là sous le regard froid et la mine figée des anglais si élégants … »Vous étiez en flirt avec une native ? dit Lady Benverley;  » Oui, dis-je, une femme exquise. Mais vous la connaissez très bien? » « Oh! réplique Lady Benverley, je la connais en Angleterre . »

Le ton est donné… Francis comprend que l’Inde l’attend ailleurs que dans ce rutilant hôtel de Bombay. IL est temps de se rendre aux mémorables fêtes de Kapurtala  sous l’égide de princes fastueusement indiens.

Avant le paradis, c’est le purgatoire du voyage en train. Notre écrivain un tantinet dandy combat sur plusieurs fronts: les puces, « il y a des puces,mais je suis décidé à me dire qu’il n’y en a pas: ce que l’on nie n’existe pas « . L’ennui d’une équipée interminable, la vue monotone sur des déserts, aucune distraction si ce n’est la compagnie du boy qui, aimable et serviable, efficace aussi en dépit de son effroyable maigreur, lui indique avec obligeance le nom des animaux entrevus et les castes des passagers soumis à des règles incompréhensibles pour un regard français.

Une note attendrissante sur fond de chaleur et poussière: les petits enfants: « ils sont nus avec des crânes tondus, de pauvres visages émaciés que des yeux immenses éclairent d’un feu sombre. Ils ne sourient pas, ils ne savent pas, ils ne sauront jamais « . La lucide mélancolie de Francis ne l’empêche pas d’arriver plein d’espoir à bon port. Déception ! La première fête a  un goût anglais et Francis cherche l’Inde sans la retrouver.

Le lendemain, l’Inde reprend le dessus: « Tout demeure pompeux, mais plus rien n’est officiel…Toute notion de temps a disparu. « Un train chargé de princes entre dans la gare rutilante en cette occasion. Le ballet merveilleux ne cesse plus ! Les Fêtes commencent. Francis, habillé non sans mal à l’indienne, avance vers la salle du trône, en chemin, dans une glace, il se moque du  reflet d’un ridicule personnage: « Je regarde de plus près. J’aperçois un monsieur maigre en robe d’or et coiffé d’une poule faisane: c’est moi « .

L’effervescence et l’admiration sont à leur comble, le spectacle étourdit une assistance pourtant habituée aux féeries diamantées. Là, c’est l’explosion, le feu roulant de pierres d’une flamme et d’une grosseur inconcevables chamarrant des princes aux allures de divinités: « l’Aurore sur la neige « ,

« Les dieux de l’Automne « , l’extravagant Maharajah de Patiala en « éruptions célèbres »et, clôturant ce

cortège charriant les trésors sortis des coffres afin de rivaliser avec l’éclat du jour, la sombre lueur d’un prince illustrant le visage inconnu de l’Inde. On croirait qu’un tigre vient d’entrer:

« Je n’aperçois tout d’abord que deux yeux striés de jaune. J’ai un peu froid dans le dos. Gengis-Khan

devait avoir ce visage-là, un cruel visage d’empereur mongol dont le Maharajah  a du sang . »

La fête est terminée. Le voyage continue sous l’égide du sympathique Hollicott. Les deux amis quittent sans regrets Lahore et les rigueurs de l’hiver pour la douceur de citées aériennes en leurs jardins peuplés d’oiseaux et de singes bondissants. Elles chantent en notre imagination lointaine  de toute l’ineffable langueur de leurs noms musicaux: Udaipur, Jaipur, Agra. Toutefois, la poésie en Inde laisse aussi place à l’absurde. Ici, ce dernier prendra la forme anodine d’une chasse au pays de Bikaner. Les princes ont décidé d’honorer leur charmant invité français et, dans ce but fort louable, ils s’amusent à jouer une farce à cet exécrable  chasseur: Francis se métamorphose en audacieux tireur d’élite tuant coup sur coup une avalanche de gibier et bêtes variées, à l’immense stupéfaction d’Hollicott… On ne peut lire le récit de ces chasses  sans éclater de rire à chaque mot ou presque…

Francis de Croisset manie un humour d’une précision redoutable pour le bonheur de son lecteur immédiatement guéri  de tout mal de vivre. Nous récupérons notre âme d’enfant laissée  au placard et c’est tant mieux !

Pourtant les ombres suivent à pas lents ce roman alerte. La découverte de Bénarès, du Temple de Kali, des bûchers populaires, efface l’ensorcellement exaltée de l’esthète pénétrant dans Udaipur.

Francis  cherche l’Inde,sa légèreté de ton cède souvent devant les visages déconcertants de ce pays

où la beauté parfaite se marie avec l’horreur. »Nous avons fait un beau voyage  » reste le livre d’un homme infiniment subtil, drôle  et sensible à la beauté jaillissant d’une montagne, d’une ville en ses remparts ou du fantôme d’une princesse sacrifiée pour la paix de son royaume…

Ces lignes vous donneront peut-être envie de le rejoindre : « Cinq heures du soir; je suis revenu et, stupéfait, je ne reconnais plus le Taaj. Est-ce possible que ce miracle vaporeux soit vraiment le même monument qui m’a tant déçu ce matin? Il n’y a rien derrière lui que le ciel: on le sent prêt à s’envoler ».

Envolez-vous loin des « miasmes morbides  » vers l’Inde de Francis de Croisset !

A bientôt ,

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